|   Rencontre 
          nationale des APS du 9 octobre 2002 à Antony  | 
    
Intervention de Michel SERAIN
  Bonjour à tous,
Je vous dis d’abord ma joie d’être avec vous du fait du travail que vous réalisez dans les écoles auprès d’enfants de conditions très différentes. Je vous dis aussi ma timidité en face d’un auditoire comme le vôtre, vous qui avez une longue expérience de l’éducation.
Très simplement en commençant pour exprimer les préoccupations qui m’habitent en venant ici, je vous livre deux faits vécus ces temps-ci. Le premier se situe lors d’une rencontre avec des responsables de mouvements religieux de jeunes musulmans. Plusieurs d’entre eux mettent leurs enfants dans des établissements catholiques. En disant l’intérêt qu’ils portaient à l’école catholique, Ils ne se sont pas exprimé seulement devant des représentants de l’Église catholique mais aussi devant des représentants d’instances laïques. Certains d’entre eux pensent que l’école catholique est actuellement, en France, le lieu privilégié du dialogue entre chrétiens et musulmans. Ce petit fait est très significatif du poids de l’école catholique dans les sphères les plus diverses de la société. Je fais maintenant allusion à un deuxième fait également récent. J’ai participé il y a quelques jours à un colloque Islamo-chrétien qui se déroulait à Téhéran. Ce colloque portait sur la transmission des valeurs morales et religieuses dans nos sociétés et particulièrement auprès des jeunes. Il s’agit là d’une préoccupation très largement partagée dans nos sociétés modernes Comment transmettre nos valeurs ? comment donner ce que nous avons de meilleur à ceux qui nous suivent ? Cette préoccupation est certainement l’un des lieux de rencontre entre croyants de confessions différentes.
Mon entretien aujourd’hui porte sur le « Dialogue et l’Annonce ». Il s’agit du dialogue avec les croyants des autres religions, mais pas seulement avec eux puisque, comme chrétiens, nous sommes invités à dialoguer avec tous. Il faut d’abord dire que le terme de dialogue inter-religieux est quelque peu piégé. Il peut être employé de façon équivoque ; En effet, ce ne sont pas les religions qui dialoguent ensemble. Le Christianisme ne dialogue pas avec l’Islam. Mais ce sont des personnes, en l’occurrence des musulmans et des chrétiens, qui rentrent dans une dynamique de dialogue. Un dialogue peut être vécu selon la volonté de Dieu sans porter pour autant sur des questions religieuses. La présence de Dieu au cœur du dialogue tient d’abord à la qualité de ce dialogue.
Je crois qu’il 
  n’échappe à personne, à l’heure actuelle, que 
  nous sommes, avec le monde de l’Islam, en face d’un problème 
  important concernant l’Église et aussi l’ensemble de notre 
  société. Les événements actuels nous l’ont 
  montré. Les tendances islamistes dans le monde se manifestent très 
  vivement. Il est possible de faire de longues analyses sur ces questions. Mais 
  de toute manière, l’actualité nous rappelle qu’il 
  y a certainement là une tâche essentielle pour l’Église. 
  On a souvent dit que le dialogue entre les religions était facteur de 
  paix dans le monde. Personnellement je le crois car, en fait, la dimension religieuse 
  d’un être humain concerne, en quelque sorte, toute son existence 
  : son agir, sa façon de regarder le monde, d’organiser sa vie et 
  ses relations avec autrui. L’emprise du « religieux » sur 
  le croyant est essentielle. Et si nos religions s’efforcent d’être 
  des facteurs de paix dans le monde, elles auront certainement une grande influence 
  dans ce domaine.
  Je vais vous parler à partir de textes de l’Église. Ce n’est 
  pas pour m’abriter derrière ces textes. Ils représentent 
  il est vrai une sécurité pour la justesse de mon expression chrétienne. 
  Mais, à travers eux, c’est notre foi qui s’exprime. De plus 
  ces textes d’Église sont d’abord le fruit d’une longue 
  expérience évangélique. Ils ont vu le jour parce que des 
  chrétiens ont d’abord vécu le dialogue, la réflexion 
  et la prière dans la rencontre quotidienne avec des croyants d’autres 
  religions. C’est tout une expérience de l’Église qui 
  s’exprime par ces textes. Ils sont nombreux, très nombreux, depuis 
  le concile de Vatican II. Parmi ces textes, Il faut citer naturellement le décret 
  sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes, 
  « Nostra aetate » qui est le texte fondamental pour notre sujet. 
  C’est au cours du Concile que fut aussi publié l’encyclique 
  « Ecclesiam suam » ( l’Église aujourd’hui ). 
  Elle posa en 1964 les bases théologiques du dialogue avec les croyants 
  des autres religions et, plus généralement, du dialogue avec tous 
  les hommes. Je vous recommande aussi, avec beaucoup d’insistance, le document 
  « Dialogue et annonce » du « Conseil pontifical pour le dialogue 
  inter-religieux ». Ce document date de 1991, il est d’une grande 
  richesse spirituelle et doctrinale. Il fait le point sur l’attitude de 
  l’Église et l’état de sa réflexion sur ce binôme 
  : Le dialogue et l’annonce de Jésus-Christ. Bien sûr, il 
  y a d’autres documents, mais celui-ci est particulièrement complet 
  et, de plus, il est facile à lire. C’est un document conjoint du 
  « Conseil Pontifical pour le dialogue inter-religieux » et de la 
  « Congrégation pour l’évangélisation des peuples 
  ». Quant au sérieux de ce document, il faut dire qu’une première 
  rédaction du texte fut soumise à toutes les conférences 
  épiscopales du monde…. Ensuite quelques années furent nécessaires 
  pour le mettre au point. Cela se n’est pas étonnant…. ! 
Un rappel historique
Ceci dit, je voudrais aborder devant vous plusieurs aspects de la question. Mais il faut d’abord faire un court rappel historique. Cela ne fut pas toujours très aisé dans l’Église et on se souvient de cet adage : « Hors de l’Église point de salut » qui a traîné si longtemps dans l’Église. Il faut en comprendre les origines. Cette affirmation concerna dans un premier temps tous ceux qui se séparèrent de l’Église catholique en rejetant sa tutelle juridique ou doctrinale. Mais par la suite ce rejet s’étendit plus largement. On pensa que l’Évangile avait été annoncé dans toutes les régions du monde. Il s’agissait, bien sur, des régions connues à l’époque. On considéra alors que ceux qui n’étaient pas devenus chrétiens étaient fautifs parce qu’ayant refusé la prédication chrétienne. Ils ne pouvaient donc pas avoir part au salut en Jésus-Christ. Cette perspective quelque peu simpliste prit une ampleur importante au cours du Moyen-âge dans le conflit qui opposa la chrétienté, comme bloc politico-religieux et l’Islam, comme autre bloc politico-religieux, de part et d’autre de la Méditerranée.
Malgré tout un certain nombre de personnages, au cours de l’histoire, ont rompu avec cet adage malheureux et l’handicap grave qu’il représentait. Ils ont voulu entrer en relations avec les non-chrétiens et réfléchir sur cette expérience. L’exemple le plus frappant est celui de St François d’Assise qui, au cours de la 9e croisade, traversa les lignes des croisés et les lignes des musulmans pour parler avec le Sultan. Ce furent aussi, au cours des, 12e/13e et 14e siècles quelques théologiens d’Espagne et du sud de l’Italie qui posèrent les bases du dialogue islamo-chrétien. Il me semble important de souligner à ce sujet qu’il s’agissait de personnes vivant en relations habituelles avec l’Islam, non par des textes ou par des récits, mais par le contact parfois quotidien avec des personnes de confession musulmane. Ils ont voulu vivre l’Évangile dans cette relation avec les musulmans omniprésents dans leur environnement. Ce sont eux qui eurent une parole évangélique dans ce domaine, inaugurant lointainement le Concile Vatican II qui éclaire maintenant notre temps.
Le regard sur les personnes non-chrétiennes
C’est une première 
  réflexion…..Que dit l’Église à propos des personnes 
  non chrétiennes ? Quel regard porte t-elle sur ces personnes ? Il y a, 
  bien sûr, un certain nombre de textes, en particulier celui que vous connaissez 
  sur la liberté religieuse qui fait appel au critère ultime de 
  la conscience. Vatican II affirme cette liberté religieuse doit être 
  respectée en fidélité au « dictat » de la conscience.
  L’acceptation de la différence est aussi exprimée dans les 
  textes conciliaires. Le concile insiste sur ce point. Vous savez en effet par 
  expérience que l’abord de la différence et son acceptation 
  ne sont pas choses faciles. Nous sommes différents les uns des autres 
  et nous avons du mal à nous accepter comme tels bien souvent. Cela fait 
  partie, quelque part, de la nature humaine. Cette difficulté existe pareillement 
  au niveau des groupes, des ethnies et des religions. Il faut nous accueillir 
  cette différence dans le respect de la dignité humaine de chacun. 
  
  l’Église rappelle souvent cette dignité inaliénable 
  quelques soient les limites et les fautes des êtres humains. Il s’agit 
  pour les chrétiens d’un regard que nous avons à porter, 
  à la suite du Christ, sur tout être humain. Deux ou trois textes 
  du Concile Vatican II paraissent plus particulièrement significatifs 
  dans ce domaine. 
  Le premier concerne la dimension spirituelle de l’Homme: « L’homme, 
  seule créature sur terre que Dieu ait voulu pour elle-même ne peut 
  pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même 
  ». En quelque sorte, le Concile Vatican II suggère que tout être 
  humain est capable de se donner avec désintéressement et gratuité. 
  Mais cela signifie qu’un chemin spirituel est nécessaire pour accéder 
  à cet état de disponibilité qui n’est pas spontané. 
  Cette capacité au spirituel est le fondement de la dignité de 
  tout être humain quelque soit ses appartenances. Vu selon la foi chrétienne, 
  c’est ce qui permet pour chacun la relation à Dieu et aux autres.
  Le second texte auquel je veux faire allusion se trouve dans le décret 
  sur « L’Église dans le monde de ce temps » ( Gaudium 
  et Spes ) du concile Vatican II. On le retrouve dans l’encyclique « 
  Le rédempteur de l’homme » (Redemptor hominis) n°13. 
  Voici ce texte : « Par son incarnation, le Fils de Dieu s’est en 
  quelque sorte uni à tout homme, il a travaillé avec des mains 
  d’homme, il a pensé avec une intelligence d’homme, il a agi 
  avec une volonté d’homme, il a aimé avec un cœur d’homme 
  ». C’est une dimension essentielle de notre foi chrétienne. 
  Le regard sur une personne ne peut jamais faire l’économie de cette 
  dimension. Au delà des origines de la personne, de sa culture, de sa 
  vie professionnelle, de sa valeur morale, de son âge ou de ses appartenances, 
  il y a ce regard premier : Le Christ s’est uni à cette personne 
  par son incarnation. Il en est solidaire et a un projet de salut pour elle. 
  Cela fait éclater les catégories humaines qui nous habitent en 
  leur donnant une dimension qui ne vient pas de nous mais de Dieu qui nous habite.
  Un autre aspect que je voudrais souligner dans la pensée de l’Église, 
  c’est l’affirmation que l’Esprit de Dieu est donné 
  à tout homme de bonne volonté et cela depuis les origines de l’humanité. 
  Je prends, par exemple, l’encyclique sur « l’Esprit Saint 
  dans la vie de l’Église et du monde » qui fut publiée 
  en 1986. En voici un passage essentiel : « Il n’est pas possible 
  de se limiter aux 2000 ans écoulés depuis la naissance du Christ, 
  il faut remonter en arrière, embrasser aussi toute l’action de 
  l’Esprit Saint avant le Christ depuis le commencement dans le monde entier 
  et spécialement dans l’économie de l’Ancienne Alliance 
  ». Cette action, en effet, en tout lieu et en tout temps, même en 
  tout homme s’est accomplie, selon l’éternel dessein du Salut, 
  dans les mystères de l’Incarnation et de la Rédemption. 
  
  Cette affirmation de l’Église est extrêmement importante. 
  En face d’une personne, il faut savoir se dire que l’Esprit de Dieu 
  veut agir en elle. Cette personne, quelle qu’elle soit, est appelée 
  à être Temple de l’Esprit, présence de Dieu puisque 
  l’Esprit est dispensé à tout être humain de bonne 
  volonté. La capacité d’accueil de l’Esprit pour chaque 
  être humain est lié à sa disponibilité en fidélité 
  aux impératifs de sa conscience. Le péché et l’enracinement 
  dans le péché sont les obstacles à cette venue de l’Esprit. 
  
  L’Église le rappelle que les dons de l’Esprit sont très 
  divers. Certains, animés par l’Esprit de Dieu cherchent à 
  améliorer les conditions de l’existence humaine. C’est aussi 
  l’action de l’Esprit qui amène les êtres humains à 
  prier, à se tourner vers leur Créateur. 
  Mais dans ce regard sur les personnes accueillant l’Esprit de Dieu, il 
  importe de penser à tous ceux qui sont marqués par des valeurs 
  spirituelles leur venant de leur tradition religieuse. C’est au sein de 
  leurs valeurs spirituelles propres qu’ils peuvent livrer quelque chose 
  de la présence et de l’action de Dieu en eux. Nous n’en avons 
  pas toujours conscience. Mais ces valeurs spirituelles peuvent être vécues 
  parfois d’une façon très profonde. Dans l’encyclique 
  « Le Rédempteur de l’homme » N°6, il est dit: « 
  N’arrive-t-il pas parfois que la fermeté de la croyance des membres 
  des religions non chrétiennes, effet elle aussi de l’Esprit de 
  Vérité, opérant au-delà des frontières visibles 
  du corps mystique devrait faire honte aux chrétiens si souvent portés 
  à douter des vérités révélées par 
  Dieu et annoncées par l’Église, si enclins à se laisser 
  relâcher les principes de la morale et à ouvrir les portes à 
  une morale permissive ». Ce texte est assez vigoureux dans son expression 
  en soulignant qu’il importe de savoir lire et regarder la présence 
  de Dieu dans le cœur des hommes. Il ouvre à des perspectives qui 
  se sont exprimées dans le décret « L’Église 
  dans le monde de ce temps » du Concile Vatican II au N°22 - §5. 
  Si vous êtes familiers avec les textes de Vatican II, vous savez que ce 
  passage concerne le centre de la foi chrétienne, le « Mystère 
  pascal ». Chaque chrétien est invité à vivre ce « 
  Mystère Pascal » en passant par la mort et la résurrection 
  dans sa vie quotidienne afin de rejoindre Dieu à la suite du Christ. 
  C’est notre démarche chrétienne. Nous sommes baptisés 
  dans la mort et la résurrection du Christ. Mais le texte continue ainsi 
  : « Et cela ne vaut pas seulement pour ceux qui croient au Christ, mais 
  bien pour tous les hommes de bonne volonté dans le cœur desquels 
  invisiblement agit la grâce. En effet, puisque le Christ est mort pour 
  tous et que la vocation de l’homme est réellement unique, à 
  savoir divine. Nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous, 
  d’une manière que Dieu seul connaît, la possibilité 
  d’être associé au mystère pascal ». Ce texte 
  est central puisqu’il affirme que tout être humain sauvé 
  par le Christ est sauvé par dans ce « Mystère Pascal » 
  auquel il est appelé à participer afin d’accueillir le Salut. 
  La grâce de Dieu agissant dans le cœur des hommes veut entraîner 
  les hommes à vivre quelque chose de ce mystère pascal d’une 
  manière, nous dit bien le texte, que Dieu seul connaît. Nous sommes 
  donc en face d’une personne, devant le mystère de cette action 
  de Dieu dans le cœur de cette personne et vous savez que tout cheminement 
  de Dieu dans le cœur des êtres humains se fait dans le temps avec, 
  pour parler familièrement, des allées et venues, avec des reculs 
  et des avancées, avec des prises de conscience et des moments d’obscurité. 
  Mais l’action de Dieu se fait fidèlement dans le cœur des 
  hommes qui savent à certains moments de leur vie dire un oui inconditionnel 
  à ce que leur conscience leur dicte. C’est ce que le Concile Vatican 
  II nous rappelle avec beaucoup de force. 
  Il y a donc un regard de foi à avoir sur les personnes que nous rencontrons, 
  la foi en ce Salut que le Christ veut leur proposer. Ce regard de foi nous éprouvons 
  des difficultés à l’adopter. Pour m’être un 
  peu plongé dans des questions d’ordre sociologique à propos 
  de l’immigration dans le passé, je me suis aperçu que nous 
  avions parfois, nous français, une forte capacité cartésienne 
  pour décrire les personnes, leur milieu, leur fonction, leur caractère, 
  leurs possibilités, etc…. Nous avons appris à les situer 
  par rapport à leur culture, leur psychologie et leur place dans la société. 
  Cela n’estompe t-il pas quelque peu un regard de foi qui est notre apport 
  spécifique de chrétiens ? Regard de foi qu’il convient d’exprimer 
  dans un langage cohérent avec la personnalité de nos interlocuteurs.
Un regard sur les religions non-chrétiennes
Le second point que 
  je vais aborder, c’est le regard de l’Église sur les autres 
  religions. Un texte me paraît particulièrement éclairant 
  pour toutes les religions, et j’insiste, y compris pour le judaïsme. 
  Mais il faudrait il faudrait s’expliquer longuement sur ce sujet du judaïsme. 
  Ce texte se situe au début du décret sur les relations de l’Église 
  avec les religions non chrétiennes: « Les hommes attendent des 
  diverses religions la réponse aux exigences cachées de la nature 
  humaine qui, hier comme aujourd’hui, troublent profondément le 
  cœur humain. Qu’est-ce que l’homme ? quel est le sens de la 
  vie ? qu’est-ce que le bien ? qu’est-ce que le péché 
  ? quels sont l’origine et le but de la souffrance ? quelle est la voie 
  pour parvenir au véritable bonheur ? qu’est-ce que la mort, le 
  jugement, la rétribution après la mort ? qu’est-ce enfin 
  que le mystère dernier qui entoure notre existence d’où 
  nous tirons notre origine et vers lequel nous tendons ? » Le concile Vatican 
  II se référant à l’histoire religieuse du monde nous 
  affirme que la naissance des diverses religions est liée à ces 
  grandes questions que les hommes se sont toujours posées. Et je dirais 
  que toute religion quelle qu’elle soit mérite un profond respect 
  car elle est le signe de cette longue quête de l’humanité 
  pour comprendre le sens de l’existence humaine et la manière de 
  faire face à ces problèmes de la vie humaine pour lesquels l’éclairage 
  de la science et des techniques ne peuvent pas apporter de réponse. Il 
  y a donc un respect à avoir pour les différentes religions du 
  fait de cette démarche de l’homme cherchant un sens à sa 
  vie. C’est la démarche que Dieu a voulu puisqu’il n’a 
  pas donné des réponses immédiates à ces grandes 
  questions humaines. En quelque sorte on peut dire que Dieu a laissé les 
  hommes chercher avant de leur donner la réponse en Jésus-Christ. 
  Cela nous révèle quelque chose du projet de Dieu sur l’homme 
  et la manière dont il entend se révéler. Ce sont des perspectives 
  nouvelles qui s’ouvrent sur les mystères de la foi chrétienne. 
  
  Que ce soit l’Islam ou d’autres religions, y compris celles qui 
  nous paraissent marquées par des éléments négatifs, 
  tel que le système des castes de l’hindouisme, chaque religion 
  se présente comme une élaboration humaine laborieuse, hésitante 
  et marquée par ses origines. De ce fait, chaque religion mérite 
  le respect et l’attention car elle porte en elle l’écho de 
  millénaires de recherche de Dieu. Aussi l’Église ne rejette 
  rien des valeurs positives de ces religions non chrétiennes. C’est 
  encore le concile Vatican II dans la « Déclaration sur les religions 
  non chrétiennes » (Nostra aetate) qui le formule ainsi : « 
  l’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et sain 
  dans ces religions. Elle considère avec un respect sincère ces 
  manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines 
  qui croient qu’elles diffèrent en beaucoup de points de ce qu’elle 
  même tient et propose, cependant apportent un rayon de vérité 
  qui illumine tous les hommes ».On trouve d’ailleurs dans Vatican 
  II à propos des religions non chrétiennes différentes expressions 
  significatives. « Des éléments précieux, religieux 
  et humains, des traditions contemplatives, des éléments de vérité 
  et de grâce, des semences du Verbe, un rayon de vérité qui 
  illumine tous les hommes » . Chacune de ces expressions mériterait 
  d’être longuement méditée.
  Une place très particulière y est faite au judaïsme bien 
  sûr, mais aussi à l’Islam. Je vous lis le texte concernant 
  l’Islam car, dans son ensemble, il me paraît très éclairant 
  pour le dialogue avec tout être humain. Il y a essentiellement dans ce 
  texte, un désir de rapprochement, de compréhension, de main tendue, 
  de bienveillance…. La différence entre la démarche musulmane 
  et la démarche chrétienne y est affirmée mais le texte 
  ne se présente pas d’abord comme une élaboration théologique. 
  C’est essentiellement la proposition d’un accueil réciproque 
  et de collaborations pour le bien des hommes et des sociétés. 
  « L’Église regarde avec estime les musulmans qui adorent 
  le Dieu un, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur 
  du ciel et de la terre qui a parlé aux hommes. Ils cherchent à 
  se soumettre de toute leur âme au degré de Dieu même s’ils 
  sont cachés comme s’est soumis à Dieu Abraham auquel la 
  foi islamique se réfère volontiers bien qu’ils ne reconnaissent 
  pas Jésus comme Dieu, ils le vénèrent comme prophète, 
  ils honorent sa mère virginale et parfois même l’invoquent 
  aussi avec piété. De plus, ils attendent le jour du jugement où 
  Dieu rétribuera tous les hommes ressuscités, aussi ont-ils en 
  estime la vie morale et rendent-ils un culte à Dieu surtout par la prière, 
  l’aumône et le jeûne ». Et le texte continue sur les 
  collaborations que chrétiens et musulmans peuvent avoir ensemble pour 
  le bien de la société. 
  Concernant les religions non-chrétiennes, on trouve dans les textes de 
  l’Église quelques passages sur les limites et les insuffisances 
  des religions au regard de la foi chrétienne. Des êtres humains 
  inspirés par l’Esprit de Dieu ont marqué positivement leur 
  religion par du fait de l’action de l’Esprit en eux. Mais les religions 
  ont été aussi marquées par la facilité humaine et 
  d’une façon générale par le péché. 
  Jean-Paul II a dit, dans un discours aux membres de la curie romaine : «Le 
  péché a été à l’œuvre dans le 
  monde et donc les autres traditions religieuses, malgré leurs valeurs 
  positives, portent aussi les traces de l’esprit humain qui a tendance 
  à suivre l’esprit du mal ». Ces affirmations de l’Église 
  ne sont pas l’expression d’une supériorité affichée 
  de l’Église par rapport aux autres religions. En effet, à 
  plusieurs reprises, il est affirmé, en particulier dans le document « 
  Dialogue et annonce » du « Conseil Pontifical pour le dialogue Interreligieux 
  » que ceci est vrai aussi de l’Église catholique qui fut 
  marquée, au cours des siècles, par le péché des 
  hommes paralysant l’œuvre de l’Esprit Saint. C’est pourquoi 
  l’Église catholique a été sans cesse amené 
  à se réformer et à revenir à l’Évangile. 
  
  Il est un dernier point qui supporte certainement différentes interprétations. 
  Des textes récents de l’Église disent que non seulement 
  l’Esprit de Dieu est à l’œuvre dans le cœur des 
  hommes mais qu’il agit aussi au sein des religions elles-mêmes Il 
  faudrait bien sûr un développement théologique important 
  sur ce sujet ; développement théologique qu’il n’est 
  pas possible de faire ici. Je signale au passage, pour ceux qui veulent faire 
  de la théologie, qu’il existe un document très intéressant 
  de la commission théologique internationale sur le thème des religions 
  non chrétiennes. Il fait le point sur la pensée de l’Église 
  à l’heure actuelle et les conditions d’une recherche théologique 
  dans ce domaine.
Le Dialogue avec les croyants des autres religions
Le dialogue avec 
  les croyants des autres religions, c’est la troisième partie de 
  cet exposé que je veux aborder maintenant. Tout à l’heure, 
  Emmanuel a fait allusion à l’origine même de ce dialogue 
  : elle est en Dieu et là nous avons, dans l’encyclique « 
  L’Église aujourd’hui », des choses extrêmement 
  fortes qui nous le rappellent. C’est notre identité chrétienne 
  qui se précise avec cette démarche du dialogue. L’Église, 
  pour accomplir sa mission, se doit de rentrer en dialogue avec les hommes. Le 
  dialogue du Salut fut inauguré spontanément par l’initiative 
  divine. C’est lui, Dieu, qui nous a aimés le premier et qui a pris 
  l’initiative du dialogue avec l’humanité. Il nous appartient 
  donc de prendre, à notre tour, l’initiative du dialogue sans attendre 
  d’y être appelés.. C’est une dimension propre à 
  la foi chrétienne. Dieu est dialogue en Lui-même dans le Mystère 
  Trinitaire. C’est la nature même de la foi chrétienne. C’est 
  parce que nous tirons cette force du dialogue de la Trinité que ce dialogue 
  est sacré et constitutif du Christianisme. On ne peut pas être 
  chrétien sans vouloir rentrer en dialogue avec les autres, avec ceux 
  qui sont différents, ne serait-ce qu’à cause de la catholicité 
  de l’Église qui s’étend à tous les hommes du 
  monde puisqu’elle est l’Église de Jésus-Christ. Une 
  Église qui ne dialoguerait pas ne serait plus l’Église de 
  Jésus-Christ. Aussi l’Église se propose de dialoguer avec 
  tous les hommes du monde. Le Christ est venu sauver tous les hommes et chaque 
  être humain a un prix infini à ses yeux.
  L’Église s’intéresse à tous les hommes, non 
  pas seulement par une évangélisation explicite, mais en respectant 
  chacun dans sa démarche et les étapes de ses découvertes. 
  C’est l’occasion de faire remarquer que parfois une parole maladroite 
  ou hâtive risque de bloquer tout témoignage de l’Évangile. 
  
  Il ne s’agit pas de s’abstenir de dire la foi chrétienne 
  et de refuser de témoigner de l’Évangile. Mais nous voulons 
  nous situer dans la dynamique même de Dieu, dans la pédagogie de 
  Dieu, dans le respect que Dieu a de tous les hommes. Le long itinéraire 
  du peuple hébreu dans l’Ancien Testament en est le signe manifeste. 
  Mais c’est dans l’Évangile, l’attitude du Christ qui 
  nous éclaire pleinement. Parmi les épisodes de l’Évangile, 
  très significatifs sur ce sujet, l’un d’entre eux est rappelé 
  dans les textes de l’Église sur le dialogue. C’est la guérison 
  du serviteur du centurion romain. Voilà Jésus qui se trouve en 
  face d’un homme qui ne partage pas la foi des Juifs, mais il va être 
  dans l’admiration de cet homme, une admiration très profonde car 
  cet homme manifeste une attention à son serviteur et une confiance illimitée 
  en Jésus. Bien que cet homme soit un païen, Jésus reconnaît 
  en lui la présence du Père : « En vérité, 
  je n’ai jamais rencontré une telle foi dans tout Israël ». 
  D’autres textes sont également significatifs de l’attitude 
  du Christ vis à vis de ceux qu’Il rencontre, juifs ou non juifs. 
  
  Pour nous chrétiens, il s’agit de lire la présence de Dieu, 
  au cœur de cette humanité en recherche et parfois en désarroi. 
  Selon les possibilités de nos interlocuteurs, il reste à dévoiler 
  ce que représente, pour un disciple du Christ, cette présence 
  de Dieu agissant dans le cœur des hommes.
Les différentes formes du dialogue
En terminant il faut regarder les différentes formes du dialogue que l’Église a pu identifier:
Le dialogue quotidien : Ce dialogue de la vie où des personnes partageant les mêmes soucis échangent entre elles sur les réalités simples de l’existence. Certains hésitent à en reconnaître la valeur. Mais on ne peut méconnaître ces dialogue qui peuvent être porteurs de vie s’il sont vécus selon l’Évangile et de ce fait ouvrant à une rencontre avec Dieu.
Le dialogue des échanges Intellectuels : Il s’agit essentiellement les questions théologiques et historiques qui concernent surtout les spécialistes.
Le dialogue qui naît 
  des collaborations : C’est le dialogue des collaborations en vue du bien 
  commun. C’est ce dialogue qui est mentionné explicitement dans 
  le texte du concile Vatican II concernant les musulmans que je cite maintenant 
  : « Si, au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés 
  se sont manifestées entre les chrétiens et les musulmans, le Concile 
  les exhorte tous à oublier le passé et à s’efforcer 
  sincèrement à la compréhension mutuelle ainsi qu’à 
  protéger et à promouvoir ensemble pour tous les hommes la justice 
  sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté ». Beaucoup 
  de chrétiens, que ce soit dans notre pays ou que ce soit dans des pays 
  majoritairement musulmans, ont fait cette expérience de collaborer avec 
  des musulmans pour la justice, l’éducation et la vérité 
  dans les rapports humains. 
  Jean-Paul II, en s’adressant à 80000 jeunes marocains rassemblés 
  dans le stade de Casablanca en 1986, a beaucoup insisté sur ces collaborations. 
  Au long d’un discours particulièrement intéressant il insiste 
  sur les dimensions psychologiques que représente un tel dialogue. Il 
  y a la confiance et la liberté d’esprit qui naissent d’un 
  travail en commun en vue du service d’autrui. C’est une expérience 
  vécue souvent d’une véritable communion qui se réalise 
  lorsqu’on œuvre ainsi non pas pour se valoriser ou pour des intérêts 
  particuliers mais avec gratuité pour l’ensemble des hommes. On 
  acquiert alors une capacité d’approfondissement et de découverte 
  réciproque. Mais il y a plus.. on peut dire que Dieu est présent 
  à l’intérieur de ce type de dialogue puisque, conscients 
  de responsabilités communes, on cherche à faire l’œuvre 
  de Dieu. Est-il osé de dire que la parole du Christ s’applique 
  alors à ces situations : « Là ou deux ou trois sont réunis 
  en mon nom, je suis au milieu d’eux ». En effet lorsque des êtres 
  humains, quelles que soient leurs convictions, en fidélité à 
  leur conscience, travaillent pour le bien des hommes on peut dire qu’ils 
  font l’œuvre de Dieu et que le Christ est réellement présent. 
  Les dialogues issus de ces collaborations peuvent représenter une réelle 
  l’expérience de Dieu.
Le dialogue de l’expérience religieuse : Enfin, il y a cette expérience du partage spirituel sur laquelle il y aurait beaucoup à dire. Comment des êtres humains ayant une authentique expérience spirituelle dans leur tradition religieuse propre sont susceptibles de la partager et de s’en enrichir mutuellement ? Il faut nécessairement que chacun ait conscience de ce bien commun à tous les hommes. C’est la capacité de vie spirituelle indispensable pour une conduite pleinement humaine de la vie. C’est la certitude que nous ne sommes pas seulement des êtres de chair et de sang. Il y a effectivement des hommes, des femmes et des enfants qui partagent leur expérience et se disent, de diverses manières comment ils rejoignent Dieu. Nous en avons été témoins souvent en France.
En terminant, pour 
  illustrer mon propos dans ce domaine, je vais vous citer un très bel 
  épisode de la vie de Christian de Chergé le prieur martyr du monastère 
  de Thibirine.
  Christian de Chergé et ses frères du monastère pratiquaient 
  ce partage de l’expérience spirituelle avec les paysans du village. 
  Christian de Chergé avait l’habitude de parler de la sorte assez 
  souvent avec l’un des paysans. Or il y avait longtemps qu’ils n’avaient 
  pas eu l’occasion de le faire. Un jour le paysan vient le trouver et lui 
  dit : « Père, ça fait si longtemps que nous n’avons 
  pas creusé le puit ensemble, ce qui signifiait réfléchir, 
  travailler ensemble, chercher des idées. Christian qui lui répondit 
  avec une pointe d’humour: « Écoute, lorsque nous allons creuser 
  le puit ensemble, que va t-on trouver au fond du puit ? est-ce qu’on va 
  trouver de l’eau chrétienne ou de l’eau musulmane ? » 
  Et le paysan apporta alors une réponse simple et lumineuse à la 
  fois: 
  « Tu sais bien, depuis le temps qu’on est ensemble, tu sais bien 
  qu’au fond du puit, on va trouver l’eau de Dieu. ». Je vous 
  livre le témoignage de ces deux chercheurs de Dieu. Je souhaite qu’il 
  nous éclaire les uns et les autres et nous soutienne dans notre chemin 
  de rencontre et de dialogue.
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